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25/07/2021
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Petite histoire du bleu outremer

Dans l’histoire de la peinture, le bleu a une place à part parmi les pigments. Rappelant la voûte céleste, il a également une signification spirituelle, puisqu'il s'agit de la couleur de la Vierge Marie. Pour cette raison, il est très recherché. La première utilisation du pigment bleu remonte à l’Égypte Antique. Au cours des siècles, le bleu indigo fait la fortune des marchands de pastels cultivés en Lauragais, avant d'être remplacés par les indigotiers des contrées lointaines.

Le bleu outremer, plus profond, tirant un peu sur le violet, est beaucoup plus rare et coûteux car il provient uniquement d’une pierre précieuse que l’on trouve dans les monts d’Orient. Découvrez avec nous l’histoire de ce pigment si convoité, qui a fait la fierté de tant de peintres et collectionneurs. 

 

Un pigment à prix d'or

Echantillon de lapis-lazuli

Utilisé en peinture depuis l’Antiquité, le bleu outremer est un des pigments les plus précieux de la palette de tout peintre. En effet, il est extrait de la pierre semi-précieuse qui répond au doux nom de lapis-lazuli.
Pour obtenir la poudre bleue nécessaire à la peinture, la technique est la même depuis des millénaires: on broie cette pierre et on en retire toutes les impuretés. Ce bleu profond tire son nom “outremer” non pas de la couleur des océans, mais du latin
ultramarinus, qui signifie “par-delà les mers”. Et pour cause, on rapportait le lapis lazuli des montagnes d’Afghanistan ou de l’Extrême-Orient

Rare, précieux, lointain, ce pigment répond à tous les critères d’un bien hors de prix. Il coûte extrêmement cher, trop cher pour la plupart des artistes qui vivent chichement et qui sont souvent obligés de se fournir eux-mêmes en pigments

Johannes Vermeer, La Laitière, vers 1658

Et pourtant, le bleu outremer est très prisé et fait la renommée de bien des tableaux, car il symbolise la richesse et le prestige.

Au Moyen Âge, il est utilisé par les moines copistes pour les enluminures des livres d’heures et des bibles. Ainsi, les célèbres Très riches heures du Duc de Berry, ou le Livre d’heures du Maréchal de Boucicaut sont ornés d’arabesques et de personnages peints avec un magnifique bleu outremer.

Plus tard, à la Renaissance, cette couleur est utilisée par les grands maîtres comme Raphaël, Michel-Ange et Léonard de Vinci, mais l’exemple le plus frappant est sans doute le tableau de Vermeer, La Laitière, où la jupe entière du personnage est peinte à l’outremer naturel, ce qui contribue sans doute à la profondeur captivante à la scène. 

Une idée de génie

Bleu outremer de synthèse

En Europe, la Révolution Industrielle entraîne l’essor de la chimie expérimentale. Depuis la fin du XVIIIe siècle, on s’intéresse à la fabrication de pigments de synthèse, qui pourrait significativement réduire le coût du bleu outremer.
Lors de voyages et d’expériences, l’écrivain Goethe, mais également de nombreux chimistes, observent que la couleur bleutée peut s’obtenir après combustion de la soude. 

En 1824la Société d’Encouragement pour l’Industrie Nationale, qui promeut la place de la France dans les avancées industrielles, lance un grand concours pour inciter peintres et chimistes à trouver une recette artificielle du bleu outremer, moins onéreuse.
6 000 francs sont promis à celui qui réussirait à fabriquer ce précieux pigment à moins de 300 francs le kilogramme (ce qui équivaudrait à diviser par dix le prix du pigment). Plusieurs chimistes s’y essaient deux ans durant, mais en vain

Le bleu Guimet

Jean-Baptiste Guimet

C’est alors qu’un ingénieur lyonnais, Jean-Baptiste Guimet, s’attelle à cette rude tâche. Encouragé par son épouse, la peintre Zélie Bidauld, il met au point, en 1826, un pigment de synthèse correspondant au bleu outremer.

Pour cela, il utilise de l’argile, de la soude caustique, du soufre et du charbon de kaolin, dans un mélange qu’il chauffe à plusieurs centaines de degrés.

Les matériaux utilisés sont très courants et le prix de revient de cette fabrication est d'à peine 800 francs le kilogramme, alors que celui du lapis-lazuli monte au même moment à presque 10 000 francs le kilo.

L'Apothéose d'Homère, par Ingres, 1827

Le bleu obtenu prend alors le nom de Bleu Guimet. Son utilisation se répand en France, en Europe et dans le monde entier.

Les peintres l’adoptent rapidement : le pigment est stable et sa production augmente rapidement, ce qui a pour effet de casser son prix. Dès 1827, le peintre Jean-Auguste-Dominique Ingres l’utilise pour le personnage au vêtement bleu sur son Apothéose d’Homère. De nombreux peintres, dont William Turner, l’imitent sans tarder. 

La fortune du bleu

Le Musée Guimet, place d'Iéna à Paris

Le bleu Guimet est également utilisé en industrie, pour la fabrication de papiers-peints, de vêtements, d’encre d’imprimerie, de savons, et de bien d’autres produits. Un procédé très courant au XIXe siècle est l’azurage : il consiste à blanchir par un effet d’optique le papier et le linge en utilisant du bleu Guimet

Naturellement, Jean-Baptiste Guimet fait fortune grâce à cette invention, et lègue à son fils Émile une entreprise florissante. Ce dernier, voyageur invétéré et collectionneur passionné, utilise cette fortune familiale pour créer sa collection d'œuvres d’art asiatique, aujourd’hui conservée au Musée Guimet, ou Musée National des Arts Asiatiques dans le XVIe arrondissement de Paris.

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