Rencontre avec Dominique Imbert : fondateur de Pierres d’Histoire
Pierres d'Histoire est une nouvelle venue dans le monde des startups du patrimoine. Lancée en 2019, elle permet de réserver des séjours de rêve, en famille, entre amis ou entre collègues, dans des lieux de patrimoine, restaurés avec grand soin, dans le respects des domaines et de leur histoire.
Nous avons rencontré Dominique Imbert, fondateur de Pierres d'Histoire, qui nous a confié la genèse de son projet, la philosophie qui l'anime et ses perspectives d'évolution !
Pouvez-vous vous présenter ? Quel est votre parcours ?
Je m’appelle Dominique Imbert, j’ai 66 ans et je me qualifie de startupper sénior.
J’ai une très longue expérience de chef d’entreprise derrière moi, notamment dans les secteurs du retail, et de la distribution spécialisée : j’ai fondé et dirigé un certain nombre de réseaux de magasins.
C’est la raison managériale pour laquelle je m’intéresse à Pierres d’Histoire qui, à terme, va devenir une chaîne. C’est en tous cas ainsi que j’entrevois les choses. Ce n’est pas péjoratif ; nous sommes obligés d’avoir des raisonnements économiques et sur ce plan, Pierres d’Histoire se construit comme une marque avec des unités qui sont des propriétés plutôt que des boutiques.
D’où cette passion pour le patrimoine vient-elle ? Quel lieu vous a le plus marqué ?
Ma passion pour le patrimoine m’est venue plutôt sur le tard. J’ai toujours beaucoup aimé l’architecture mais je ne passais pas ma vie à visiter des cathédrales ou des châteaux.
Ce qui m’a toujours fasciné c’est le charme des endroits. Pour moi la qualité d’un édifice historique tient autant à sa qualité architecturale qu’à la qualité de son environnement, notamment paysagé, c’est un ensemble. Un ensemble ne compte que pour la qualité de son écrin.
J’ai toujours aimé l’histoire, l’architecture et le paysage et je me documente très régulièrement sur ces sujets mais j’ai vraiment pris la mesure de mon intérêt pour le patrimoine au cours de deux projets personnels.
D’abord, la restauration du dernier étage d’un immeuble parisien offrant des vues imprenables sur la capitale.
Ensuite, celle d’une maison de collection sur l’Île D’Yeu. Construite par un grand architecte, elle est complètement atypique. Je l’ai achetée en piteux état et je suis parvenu à la faire revivre.
La passion du patrimoine m’a alors pris au corps pour ne plus jamais me quitter.
Comment Pierres D’Histoire est-il né ?
L’idée de Pierres d’Histoire a germé dans mon esprit il y a environ une dizaine d’année lors de séjour, avec des amis anglais, dans des maisons du Landmark Trust.
J’ai trouvé ce concept absolument formidable ! Tous les lieux dans lesquels j’ai eu l’occasion de séjourner, conjuguaient beauté de l’architecture et de l’environnement. Et en plus de ça, on pouvait y vivre comme chez soi. Par ailleurs, les maisons sont très facile d’accès. Enfin, très important pour moi, c’est que c’est au service du patrimoine car les recettes de chaque séjour sont allouées à la restauration du patrimoine, qui sans cela aurait disparu.
Le gros sujet derrière tout cela, c’est la vie. De nombreux édifices ont été bâtis pour un usage précis, cet usage a disparu, aujourd’hui ils doivent continuent à vivre, sans que leur histoire puisse être dénaturée.
C’est là mon point de départ : j’ai voulu créer un équivalent du Landmark Trust en France. Je souhaitais faire une structure philanthropique mais je me suis heurté à la technostructure française. Je voulais vraiment leur prouver que l’argent philanthropique que j’avais réuni pouvait fonctionner pour un tel modèle.
Malheureusement, dès lors qu’il y a un modèle économique avec des rendements commerciaux, on ne peut pas obtenir de fonds de philanthropie…
J’ai tout de même acheté des propriétés pendant ce temps-là, en vue de démarrer le projet puisque, de toutes façons, la décision était prise.
Nous avons acheté deux propriétés : le Moulin de Pézenas en Occitanie et le Domaine de Ravenoville, en Normandie.
Domaine de Ravenoville, Normandie © Eric Sander
Puis nous avons eu la chance de rencontrer les propriétaires du Château de Courances, en Île-de-France, avec qui nous avons trouvé un accord pour exploiter les dépendances.
En tant que fervents défenseurs du patrimoine, il se sont montrés très sensible à notre concept et ont accepté de prendre le risque avec nous : ils nous ont dédié une partie non négligeable de leurs communs, qu’ils ont restauré pour nous les livrer comme un outil de travail correspondant à notre cahier des charges.
L’aventure a démarré avec ces trois lieux et nous gérons désormais 6 propriétés et 16 unités d’hébergement, c’est-à-dire 16 maisons, que les clients peuvent privatiser.
Certains clients viennent trouver un petit nid douillet pour le week-end, ils choisissent alors de petites maisons. Mais nous voyons également beaucoup de gens cherchant à se regrouper, pour des occasions familiales, dans de plus grandes maisons. C’est pour cela que nous avons conçu nos ensembles de façon très modulaire.
À Courances, par exemple, vous pouvez louer les trois maisons du Hameau de Courances avec ou sans La Régie. En Normandie, il n’est pas rare que des familles ou des groupes d’amis se retrouvent nombreux et louent les trois maisons du Domaine en même temps.
Nous avons eu une phase de travaux très longue parce que je suis très exigeant sur la qualité. Le départ commercial, avec l’ouverture des ventes sur notre site internet, date du 1er janvier 2019. Mais à cette date, l’ensemble des maisons n’étaient pas encore ouvertes et nous avons donc fait le lancement réel le 1er janvier 2020. Depuis, l’enthousiasme de notre communauté ne fait que croître.
De nombreux visiteurs reviennent réserver de nouvelles maisons après leur première expérience dans l’une des propriétés de Pierres d’Histoire.
J’avais été très frappé par le taux d’occupation des 200 maisons du Landmark Trust qui est supérieur à 80%, mais également par l’interview d’un habitué de ces demeures, qui expliquait avoir déjà séjourné dans 130 demeures et espérait pouvoir faire les 70 dernières avant la fin de sa vie. Voilà qui laisse rêveur !
Hameau de Courances, Île-de-France © Eric Sander
Comment les travaux d’aménagement sont-ils menés ?
Trois mots : passion, rigueur et patience !
Patience, l’un des maîtres mots : la restauration d’un monument historique requiert bien plus de temps que celle d’un bâtiment lambda. Nous sommes très rigoureux et exigeants sur le rendu final et nous ne faisons donc aucune concession sur la qualité. J’ai été en première ligne sur l’ensemble de nos chantiers et j’ai suivi cela de très près avec un sens accru du détail. Sur place, il m’est arrivé d’embêter les équipes jusqu’à ce qu’une pierre soit placée comme il faut, qu’une serrure soit au bon endroit ou qu’un garde-corps en fer forgé ait la bonne courbe c’est très important.
Nous avons un rôle éducatif également et nous efforçons petit à petit de laisser dans chacune de nos maisons des documents explicatifs sur l’historique de la propriété et la façon dont elles ont été restaurées.
Quelques exemples de restaurations des domaines menées par Pierres d'Histoire :
De manière plus générale, quelles sont les synergies de Pierres d’Histoire avec les habitants et les acteurs locaux ?
Les synergies sont fortes, nous nous appuyons systématiquement sur les entreprises locales et nous suscitons toujours des mouvements de sympathie importants. Nous souhaitons d’ailleurs, bientôt, organiser des portes ouvertes, comme le Landmark Trust. Nous réalisons à quel point l’esthétisme est un liant ; il fédère les gens.
De nombreuses personnes, n’ayant pas forcément de connaissances poussées en histoire de l’art pour apprécier les lieux en détail, y parviennent pourtant, parce qu’ils sentent que c’est différent Ils n’ont pas forcément les mots pour le dire, mais il y a tout de même une alchimie qui se crée. À la fin de leur séjour, ils ont pu apprécier la noblesse et la beauté des matériaux anciens, les savoir-faire traditionnels, etc… et ils se rendent compte qu’il existe autre chose que la construction rationnelle et moderne.
Château des Ducs de Mortemart © Eric Sander
Comment œuvrez-vous en faveur du patrimoine avec Pierres d’Histoire ?
C’est un sujet très important sur lequel nous œuvrons. Tout d’abord, nous permettons à tout un chacun d’accéder à des endroits historiques et d’y habiter.
Ensuite, nous les sensibilisons sans arrêt à la cause du patrimoine, en leur racontant l’histoire des lieux, en leur expliquant pourquoi nous les avons restaurés et comment nous avons fait.
Enfin, nous avons un rapport très privilégié avec la Fondation Mérimée pour les Monuments Historiques : pour chaque séjour, nous leur reversons une redevance symbolique. Les petits ruisseaux faisant les grandes rivières, cela représente plusieurs milliers d’euros chaque année et, selon notre plan de développement, cela devrait représenter rapidement des dizaines de milliers d’euros.
Nous allons également mettre en place une action complémentaire en encourageant nos clients, encore sous le charme de leur séjour, à faire un don à la Fondation pour les Monuments Historiques.
Quel domaine rêveriez-vous d’intégrer à votre offre ?
Tous, pourvu qu’ils aient une histoire ! Nous avons très envie de nous développer fortement !
Vous avez choisi d’entreprendre dans le patrimoine, quelles sont les spécificités de ce secteur ?
Dans ce secteur il n’y a que des passionnés, on y est très attaché à la qualité.
Justement, est-ce que le fait de s’adresser à des gens passionnés n’est pas un obstacle car ils ne comprennent pas toujours la dimension commerciale du Patrimoine ?
Pierres d’Histoire est une société commerciale qui a notamment pour objectif d’avoir des résultats, nous sommes donc très rigoureux dans notre gestion.
De manière générale, nous avons une clientèle très bienveillante et sympathique et nous n’avons encore jamais eu ce type de retours, bien au contraire les témoignages sont toujours extraordinaires. Si cela devait arriver, nous leur expliquerions que nous offrons des conditions de séjour dans des lieux exceptionnels, avec un rapport qualité/ prix tout aussi remarquable.
Notre clientèle est très variée, elle se compose de personnes aisées et d’autres plus modestes, pour autant ils partagent tous cet amour pour le Patrimoine et apprécient fortement Pierres d’Histoire.
Comment voyez-vous le développement de Pierres D’Histoire dans les années qui viennent ?
Aujourd’hui, nous n’avons pas un parc d’une grande homogénéité. Sans regretter aucune propriété, nous avons besoin de nous recentrer dans nos choix. Nous avons donc fait une cartographie très précise de nos besoins.
Nous cherchons des ensembles assez grands dans lesquels il y a, en moyenne, une dizaine de maisons avec des services communs, des lieux de convivialité : espaces de jeux pour enfants, piscine, petit spa charmant et intimiste ; mais aussi des espaces communs pour pouvoir organiser des réceptions, des réunions professionnelles ou des rassemblements familiaux.
De cette façon Pierres d’Histoire peut donc permettre à la fois l’organisation d'hébergement privé, d'évènements privés et d’évènements professionnels.
Concernant les emplacements, nous sommes obligés de rester près des flux touristiques, mais nous pourrons envisager de nous en éloigner dans les années à venir lorsque la marque aura pris son essor.
Nous avons un programme de développement assez ambitieux : nous visons environ une cinquantaine de propriétés d’ici 2030. L‘équipe de Pierres d’Histoire est formidable et motivée dans cette perspective ! Aujourd’hui, elle se compose de 5 personnes et nous avons ensemble une belle histoire à raconter.
Poterne du Château de Fleury © Eric Sander
Quels sont, selon vous, les grands axes de développement pour le patrimoine ?
Il faut comprendre que tous ces domaines sont plus chers que d’autres à faire fonctionner. Par conséquent, le modèle de Pierres d’Histoire est de dégager des excédents pour que ces modèles puissent vivre derrière.
Sur ce sujet, les Anglais sont beaucoup plus pragmatiques que nous. Il faut trouver des activités qui apportent des ressources pour maintenir ce patrimoine.
À chaque fois sans exception, les sites, que nous avons repris étaient à l’état de ruines. Nous les avons sauvés mais il a fallu investir beaucoup d’argent pour leur redonner vie. De nombreux éléments de patrimoine ont été restaurés sans réflexion sur leur usage et aujourd’hui tout est à refaire.
Nous ne nous contentons pas de sauver les monuments, mais les ressources que ces lieux sont en train de dégager grâce à la société, permettent de les entretenir et de les préserver dans la durée.