Pass Patrimoine 600 monuments 2022 page
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L’abbaye de Clairvaux, une histoire de l’isolement qui se partage

Au cœur de la Champagne, isolée dans une vallée verdoyante, se trouve l'Abbaye de Clairvaux, site exceptionnel du patrimoine aubois.

D’abord abbaye cistercienne, puis centrale pénitentiaire et enfin lieu culturel, Clairvaux présente un passé hors du commun. Du haut de ses 9 siècles d’histoire, ce site nous raconte les époques et les bouleversements de notre société qu’il a traversés.

Partez à la découverte de ce joyau culturel !

Abbaye de Clairvaux ©Studio OG

La naissance de l’abbaye de Clairvaux, la quatrième « fille » de Cîteaux

Vue sur la grange de l'abbaye de Clairvaux ©Studio OG

Pour comprendre l’importance de l’abbaye de Clairvaux, il faut remonter au XIe siècle, période à laquelle l’ordre cistercien est en plein essor.

Ce courant monacal issu des bénédictins, est né à l’abbaye de Cîteaux, en Côte-d’Or. De son expansion naissent quatre abbayes-filles : la Ferté en Saône-et-Loire, Pontigny dans l’Yonne, Morimond en Haute-Marne et Clairvaux dans l’Aube.

C’est sur les terres d’Hugues de Troyes, comte de Champagne, que s’établissent, en 1115, Bernard de Fontaine et ses douze compagnons, envoyés par Étienne Harding, abbé de Cîteaux, pour fonder une nouvelle abbaye.

Clairvaux, située dans le diocèse de Langres, est établie à quelques kilomètres de Bar-sur-Aube, au cœur d’une vallée isolée à laquelle elle doit son nom : clara vallis, « vallée claire ».
Le choix de cet emplacement n’est pas un hasard. À l’écart des cités et villages, cette clairière permet aux moines de vivre en autarcie, comme le commande la règle de saint Benoît.

Les premiers bâtiments en bois respectent, également, en tout point cette règle stricte de conduite. Ainsi, Clairvaux se compose d’un cloître, autour duquel une chapelle, un dortoir et un réfectoire viennent s’adosser.
Les moines s’efforcent, dès 1115, d’aménager le territoire qui leur est dévolu. La forêt est exploitée et le cours de l’Aube détourné afin de profiter de sa puissance motrice.

Très vite, l’abbaye de Clairvaux se dote d’un vaste patrimoine agricole et foncier composé de vignes, champs, forêts et forges. Un grand nombre de granges, caves et celliers gérés par les convers sont installés sur le territoire.
Cette activité éloigne quelque peu les moines de leur vœu d’autarcie, l’abbaye se trouvant sur la route très commerciale des foires de Champagne.

En 20 ans, Clairvaux se forge une place et un nom dans la communauté religieuse. Ce développement florissant est dû, en partie, à Bernard de Fontaine, dit saint Bernard, le fondateur de l’abbaye et son premier abbé.

Grand Cloître de l'abbaye de Clairvaux ©Olivier Douard

Saint Bernard, un fondateur charismatique

Saint Bernard de Clairvaux ©Wellcome Collection gallery

Porté par des convictions inflexibles et doté d’une grande éloquence, saint Bernard a su s’imposer comme l’une des principales figures chrétiennes du XIIe siècle. Né à Fontaine-lès-Dijon, en Bourgogne, c’est lui qui guide ses compagnons, en quête de spiritualité, jusqu’à l’abbaye de Cîteaux, à la rencontre de son fondateur Robert de Molesme.

Souhaitant rétablir la règle bénédictine originelle, Robert de Molesme voit en Bernard de Fontaine un appui de choix. Mais le dévouement de Bernard dépasse toutes ses espérances lorsque ce dernier fait ériger l’abbaye de Clairvaux.

Grâce à son implication, Bernard de Fontaine fait de Clairvaux une référence chez les Cisterciens. Loin de tout le faste liturgique, il recentre la foi et la pratique religieuse autour du dialogue avec Dieu en imposant à Clairvaux une discipline rigoureuse.

Soucieux des affaires de son temps, Bernard de Fontaine participe aux grands événements de la communauté chrétienne. Aussi, en 1128, il officialise, au cours du concile de Troyes, la création de l’ordre du Temple, souhaitée par le chevalier champenois Hugues de Payns, pour protéger les pèlerins se rendant à Jérusalem.

Deux ans plus tard, lors de la nouvelle élection pontificale, il se fait un nom jusque dans les plus hautes sphères de la papauté, en plaidant pour l’élection d’Innocent II contre Anaclet II. Une fois élu pape, Innocent II octroie de multiples privilèges à Bernard de Fontaine et son ordre.

Son aura permet à l’ordre cistercien de gagner une solide renommée. Il fonde plus de 60 abbayes filles de Clairvaux, dont l’abbaye de Fontenay, ou encore celle de Noirlac. Mort le 20 août 1153, il est canonisé en 1174 et proclamé Docteur de l’Église en 1830.

Saint Bernard prêchant la deuxième croisade, à Vézelay, en 1147, tableau du XIXe siècle ©Émile Signol

Clairvaux, une abbaye cistercienne d’envergure européenne

Victime de son succès, l’abbaye de Clairvaux ne peut accueillir tous les fidèles, dont le nombre ne cesse de croître année après année. De 1115 à 1153, 888 moines passent par l’abbaye, dont le futur Eugène III, pape de 1145 à 1153, dont Bernard de Clairvaux devient le maître à penser. Afin de remédier au manque de place, un nouveau monastère est érigé, en 1135, à quelques centaines de mètres à l’est du site initial.

Grand Cloître d l'abbaye de Clairvaux ©Olivier Douard

Inachevé à la mort de Bernard de Fontaine, l’édifice roman répond, lui aussi, à l’exigence de sobriété voulue par son fondateur. Seule une croix de bois habille l’église composée d’un cœur déambulatoire entouré de 9 chapelles rayonnantes.

Autour du cloître, bâti dans la seconde moitié du XIIe siècle, gravitent les convers, la cuisine, le réfectoire des moines et leur bâtiment.

Le prestige de Clairvaux est tel qu’au milieu du XIIIe siècle, l’abbaye ne compte pas moins de 339 « filles », en France, mais également en Allemagne, en Suisse, en Italie et jusqu’en Ecosse et en Norvège ! Cependant, après la guerre de Cent Ans et le Grand Schisme de 1378, qui voit se diviser les Églises française et Italienne entre les papes Clément VII pour la première et Urbain VI pour la seconde, l’ordre cistercien, ainsi que Clairvaux, entament un lent déclin.

Si au XVIe siècle, l’abbaye se dote d’une nouvelle bibliothèque, d’écuries et de l’hostellerie des Dames, elle ne sort pas indemne des guerres de Religion qui se succèdent de 1562 à 1598. Cette période d’instabilité se poursuit avec la guerre de Trente Ans (1618-1648), qui déborde sur la Champagne.

En 1708, sous l’impulsion de l’abbé Pierre Bouchu, la communauté de Clairvaux entend bénéficier de plus de confort et mettre en exergue la grandeur de la foi. Pour ce faire, une nouvelle abbaye monumentale de style classique est construite ; elle remplace l’ancien bâtiment jugé trop austère. Seuls le Bâtiment des convers est conservé après ces travaux.

Bien que doté d’une splendeur nouvelle, le site ne jouit plus de la même popularité qu’au Moyen Âge. À la veille de la Révolution française, Clairvaux ne compte plus que 35 moines.

Bâtiment des convers à l’abbaye de Clairvaux ©Olivier Douard

De l’autarcie religieuse à l’enfermement carcéral, le tournant du XIXe siècle

Tour de guet de l'abbaye de Clairvaux ©Studio OG

Après avoir été vendue comme bien national en 1792, rachetée par des industriels qui la transforment en verrerie, Clairvaux est rachetée par l’État qui en fait une prison.
En effet, la peine de « privation de liberté », introduite dans le Code de procédure pénale en 1791, impose un besoin nouveau pour l’État : celui d’emprisonner les malfaiteurs autrefois soumis aux travaux forcés ou aux châtiments corporels.

Pour mener à bien cette politique pénale novatrice, Napoléon Ier transforme nombre d’anciens monastères en centrales pénitentiaires. C’est notamment le destin dévoué au mont Saint-Michel, à Fontevraud ou encore…À Clairvaux.

Tout au long du XIXe siècle, le site accueille jusqu’à 2700 condamnés. Les détenus sont d’abord emprisonnés dans des cellules collectives. Cette proximité entre bandes rivales, couplée aux désastreuses conditions d’incarcération engendrent la mort de 700 personnes en 30 mois.

La loi pénale de 1875, interdit les cellules collectives, mais la prison de Clairvaux, par manque de moyens, installe des « cages à poules » de 3 mètres carrés pour séparer les détenus.

À partir de 1971, la centrale pénitentiaire est transférée dans de nouveaux bâtiments construits à l’emplacement de l’ancienne abbatiale, détruite entre 1809 et 1815, afin d’utiliser les matériaux nécessaires à la construction de la prison. Dès lors, ce sont les services du ministère de la Justice, puis de la Culture, qui investissent les édifices historiques.

Abbaye de Clairvaux ©Studio OG

Le renouveau de Clairvaux

Cellule de la prison centrale de l'abbaye de Clairvaux ©Studio OG

Véritable trésor régional, l’abbaye de Clairvaux est aujourd’hui ouverte au public. Grâce à l’Association Renaissance de l’Abbaye de Clairvaux, il est possible de parcourir le site sur les traces des moines puis des détenus qui y ont séjourné.

Au cours de votre visite guidée, percez tous les secrets des 900 ans d’histoire de Clairvaux ! Au cœur d’un patrimoine d’exception, elle vous offre une expérience unique entre histoire et culture. Des salles répondant de l’art roman, aux cachots du XIXe siècles, en passant par les trésors architecturaux baroques, découvrez les multiples visages de Clairvaux.

Alors que la maison centrale a fermé définitivement ses portes en juin 2023, la culture investit totalement les lieux. Depuis l’été 2023, trois projets artistiques inédits de la DRAC complètent les visites proposées.

Ainsi, jusqu’en novembre 2023, une résidence artistique photographique prend place dans l’abbaye de Clairvaux. Pendant 8 semaines, les photographes Nicolas Serve et Orianne Ciantar, animés par les thématiques de l’enfermement et de la liberté, immortalisent ce lieu chargé d’histoire.

Si la « culture » ne semble par rimer avec « sport », les Olympiade culturelles nous prouvent le contraire ! Organisée par le ministère de la Culture sur l’ensemble du territoire national, dans le cadre des Jeux olympiques et paralympiques de Paris, cet événement a pour but de favoriser le lien entre le sport et la culture. L’abbaye de Clairvaux a été sélectionnée pour devenir un site participant à cette programmation olympique.

D’octobre 2023 à juin 2024, la compagnie de cirque Kiaï investit l’abbaye afin de développer un projet collectif autour de la création et du sport. L’occasion de participer à divers ateliers permettant de découvrir Clairvaux autrement et de prendre place sur scène pour un spectacle prévu le 13 juillet 2024, autour du trampoline.

La restauration du patrimoine fait également partie de l’histoire des monuments à transmettre. Aussi, afin de renforcer les liens entre Clairvaux et son territoire, les travaux du grand cloître deviennent le théâtre de multiples manifestations artistiques à vocation éducatives.
Ateliers de musique, peinture, ou encore de théâtre sont proposés aux établissements scolaires de l’Aube et de Haute-Marne afin de sensibiliser les plus jeunes à la richesse de ce patrimoine.

 Réfectoire-chapelle de l'abbaye de Clairvaux ©Olivier Douard

Préparez votre visite de l’abbaye de Clairvaux !

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